samedi 16 octobre 2010

L’identifiabilité d’une personne sur une image à l’aune du droit à l’image





Le principe du droit à l’image (http://www.educnet.education.fr/legamedia/legadico/lexique/droit-limage) est énoncé par les tribunaux dans les termes suivants : « toute personne a, sur son image et sur l’utilisation qui en est faite, un droit exclusif et peut s’opposer à sa diffusion sans son autorisation ».

La portée du droit à l’image est toutefois amoindrie dans certaines hypothèses, au nom du droit à l’information. Il en est ainsi lorsque la personne n’est pas identifiable sur l’image en cause : par exemple, prise de vue de trois quart ou des techniques de "floutage" des visages.

Examinons la probable portée de ce droit sur l’exemple de l’image ci-dessous, publiée (donc, diffusée) dans le journal le Monde en date du 15 octobre 2010. Supposons qu’aucune autorisation de publication n’ait été demandée par le journal aux personnes (sous l’hypothèse qu’il s’agit bien de personnes) figurant dans cette photo (nous comprendrons mieux pourquoi après les commentaires qui suivent).

Que voit-on dans cette image ? Au premier plan ce qui semble être un visage, vraisemblablement celui d’un homme, ou d’une femme chauve, et au second plan une série d’images probablement radioscopiques suspendues à un fil. Première hypothèse : le photographe n’a pas pu, pour des raisons de profondeur de champ, faire en sorte que le visage et la série de radios soient nettes toutes les deux. Autre hypothèse : le photographe a expressément réglé sa mise au point pour rendre floue le visage au premier plan, et il se peut, qu’ayant négligé de demander une autorisation de publication, il l’ait fait pour éviter une condamnation aux tribunaux pour violation du droit à l’image. Ce faisant, il a photographié, de manière très nette, ce qui apparaît comme des radioscopies, et la question se pose s’il n’a pas violé le droit à l’image des personnes radiographiées du fait qu’il ne leur a sûrement pas demandé l’autorisation de diffusion.

Mais, d’après l’énoncé de la loi (voir plus haut), la portée du droit à l’image est amoindrie lorsque la personne n’est pas identifiable (ce qui présuppose que le droit à l’image n’existe pour une personne que si l’on peut l’identifier sûrement sur l’image). Ainsi deux questions se posent : 1) est-ce que la personne au premier plan est ou n’est pas identifiable, et 2) est-ce que les personnes radiographiées au second plan sont, ou ne sont pas identifiables?

Pour tenter de répondre à ces questions il faut commencer par se poser la question de la signification du terme identifiabilité. Le législateur s’en est tiré à bon compte en supposant évidente cette signification, mais il serait peut-être utile d’aller au-delà des soi-disant évidences.

L’identifiablilité me semble être liée à quatre nouveaux concepts : le contexte, le modèle, le moyen d’observation et la ressemblance.

En ce qui concerne notre photo, telle qu’elle apparaît ici, le contexte est celui du titre de mon écrit («L’identifiabilité d’une personne sur une image à l’aune du droit à l’image ») et ne permet pas d’aller plus loin dans l’identification. Par contre, dans Le Monde, un contexte autrement plus explicite est fourni en deux endroits du journal: en tête de la page 4 où figure « Il faut de nouvelles armes contre la tuberculose », et en légende de la photo où apparaît « Un malade dans la clinique de Biratnagar, au Népal ». Ainsi, nous savons que toutes les sous-images (visage et radioscopies) de notre photo sont celles de malades de tuberculose dans une clinique d’une ville du Népal. Connaissant ce contexte, il serait assez facile pour Google, un détective, un juriste, etc., de trouver les noms d’un ensemble possible de personnes correspondant à ce contexte, ce qui ne veut pas dire que l’on pourrait ainsi coller un nom, de manière sûre, au visage de la personne du premier plan et aux personnes des cinq sous-images du second plan.

Cette substantielle indétermination m’amène au concept de modèle. Considérons d’abord la sous-image au premier plan. Je l’avais désignée par le terme visage, sous-entendu d’un homme ou d’une femme (notons au passage que le terme « malade » figurant dans le contexte fourni par le journal ne dit pas s’il s’agit de malades humains, animales ou végétales, de sorte que l’identification doit d’abord porter sur cette question). La correspondance de cet ensemble de pixels à un visage se fait par l’intermédiaire d’un modèle, composé d’attributs visuels que sont, par exemple : une masse ovoïde dans laquelle s’inscrivent deux yeux, un nez, une bouche, des cheveux (ou leur absence), des oreilles de forme ellipsoïdales, etc., modèle qui porte le nom : visage-type d’homme ou femme. Notons que si le modèle comporte deux oreilles, la comparaison entre le visage de notre photo d’avec le modèle sera imparfait du fait que seule l’oreille gauche est visible sur la photo. D’autres attributs de l’image du premier plan ne correspondent pas tout à fait à celui d’un modèle-type de visage, notamment à cause du floue, de sorte que nous ne pouvons pas être sûre à 100% qu’il s’agit d’un visage, et encore moins du visage d’un homme ou du visage d’une femme. Mais si nous fixons un seuil d’identifiablité à disons 50%, alors il y a une chance sur deux que la sous-image du premier plan de la photo est celle d’un visage d’être humain, et le contexte nous dit que cette personne est malade (de tuberculose), dans une clinique d’une ville du Népal.

Le modèle peut être plus précis, notamment du fait que nous disposons d’une information très précise donnée par le contexte. Sachant (après recherches) que 57 malades se trouvaient dans cette clinique aux alentours du 15 octobre 2010, et qu’il est possible d’obtenir une photo de face de chacun de ces malades, chacune de ces photos peut constituer un modèle qu’il faudrait comparer tour à tour à la sous-photo du visage du premier plan de notre photo. Le modèle le plus ressemblant à ce visage sera désigné comme celui de la personne recherchée, et si cette ressemblance est imparfaite, comme c’est courant du fait du floue du visage, alors on dira qu’il s’agit de telle ou telle personne avec une probabilité de tant de pour cent. On aura ainsi « identifié », quoique imparfaitement, la personne portant le visage du premier plan de l’image. Si, par contre, la ressemblance avec tous les modèles est en dessous du seuil choisi, alors on serait obligé de conclure à l’impossibilité de l’identification (en quel cas, l’opération de floutage serait réussie si elle avait été voulue).

Notons au passage que sans connaissance du contexte, il aurait été impossible de choisir un « bon » modèle et donc d’identifier la personne du premier plan. De plus, avec un bon modèle, mais dans un contexte inconnu a priori, on risque très fortement d’identifier une personne qui ne figure pas dans le vrai contexte (ce qui équivaut à une fausse identification).

Ce que l’on vient de dire jusqu’ici est une façon peut-être compliquée d’expliquer ce que le législateur a considéré comme évident, car il s’agit d’observations et d’images faites avec les yeux de choses familières (i.e., visages) au moyen de lumière (visible). Il est probable que le législateur n’a pas pensé à d’autres formes d’imagerie, comme la radiographie, bien qu’elles fassent partie du vécu de tout et chacun.

Considérons les cinq sous-images de l’arrière plan de ma photo. D’abord quelques rappels. Alors que nous voyons avec nos yeux qui sont sensibles à la lumière (visible), les radiographies sont faites au moyen de détecteurs sensibles aux rayons-X. La lumière pénètre peu à l’intérieur d’un corps au contraire des rayons-X, mais se réfléchit aisément sur un corps pour fournir une image de sa surface (i.e., son enveloppe) lorsque l’on l’observe avec les yeux. Nos yeux ne voient pas les rayons-X, mais ceux-ci peuvent détruire nos yeux si nous les regardons. Cependant, certaines pellicules sont sensibles aux rayons-X (sans être détruites par ceux-ci) comme sont d’autres à la lumière. Donc, à l’aide de pellicules appropriées, nous pouvons rendre « visible » une traversée de corps par rayons-X de la même manière que la réflexion de rayons lumineux sur ce même corps. Par conséquent, une radiographie est une image faite avec les rayons-X alors qu’une photographie est une image faite avec des photons (i.e., rayons lumineux). De plus, une radiographie est l’image de l’intérieur d’un objet, alors qu’une photographie est l’image de l’extérieur (l’enveloppe) dudit objet.

Il s’ensuit que le modèle ci haut mentionné doit être adapté au mode d’observation de l’objet. Ceci veut dire que si j’adopte un modèle de corps consistant en une photographie d’un homme pour identifier ledit homme à partir de sa radiographie, je coure un grand risque de perdre mon temps.

Admettons maintenant que je sache que le contexte est celui de malades de tuberculose et qu’il est ainsi hautement probable que les cinq sous-images soient des radiographies de poumons de personnes. Je peux donc choisir un modèle de radiographie-type de personnes et essayer de trouver une ressemblance avec les radiographies des cinq sous-images, mais ceci ne confirmerait autre chose que le fait, déjà suggéré par le contexte, qu’il s’agit bien de cinq radiographies de poumons de personnes malades. Par contre, si je disposais des radiographies des 57 patients ci haut mentionnés, alors je pourrais identifier, avec une bonne probabilité, les personnes correspondant aux cinq radiographies.

Dans cet exemple, comme dans celui du visage, figurent la notion de ressemblance. Au niveau le plus bas, une ressemblance est le résultat d’une comparaison pixel par pixel de deux images : il y a ressemblance totale lorsque tous les pixels d’une image sont placés comme, et de même intensité que, les pixels de l’autre image. Au niveau le plus haut, une ressemblance est le résultat d’une comparaison de signatures significatives de deux images : il y a ressemblance totale lorsque toutes les signatures de l’une des images sont identiques à toutes les signatures correspondantes de l’autre image. Pour le quidam, les yeux, nez, bouche, oreilles, etc. constituent les signatures (traits caractéristiques et aussi les attributs d’un modèle courant) de visage d’une photographie, mais le quidam ne sait pas déceler les signatures de thorax d’une radiographie. Il faut, pour cela faire appel à un médecin, et pas à n’importe lequel, puisque celui-ci doit être un radiologue (i.e., celui qui fabrique et sait interpréter les radiographies). Le radiologue a appris les bons modèles de thorax sains et malades. Donc, pour identifier, avec une bonne probabilité de réussite, les cinq radiographies de ma photo, il faut le concours d’un radiologue. Ajoutons, que sans connaissance du contexte, même le radiologue ferait une identification complètement fausse de ces radiographies (la probabilité d’identifier le législateur malade ou sain serait identique (et nulle) à celle d’identifier n’importe qui d’autre, malade ou sain).

En conclusion, pour bien identifier une photo, il faut un savoir-faire nécessitant souvent l’intervention d’un expert qui pourrait établir les bons modèles et critères de ressemblance ; de plus, il faut bien connaître le contexte, d’autant plus qu’il existe des milliards de personnes sur terre et des milliards de milliards d’images de personnes. Si, au contraire : i) l’on ne dispose pas d’experts (c’est le cas du législateur et le plus souvent des tribunaux, ou alors les experts ne sont pas d’accord entre eux), ii) les photos sont non intentionnellement floues, sur ou sous-exposées, et iii) l’on ne connaît pas le contexte, alors il est quasiment impossible d’identifier la personne correspondant à une image photographique, radiographique, infrarouge, isotopique, dessinée ou peinte. Pour celui qui figure dans l’image, son droit à l’image existe bien par la loi, mais faire valoir ce droit peut se révéler une tâche difficile du fait d’une improbabilité d’identification.

Armand Wirgin


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